vendredi 15 novembre 2013

LE FOULARD DE LA DÉCISION

MARIE-CLAUDE LORTIELA PRESSE

« Je refuse toute dérive vers le relativisme culturel sous couvert de religion pour légitimer un symbole comme le tchador, qui est l’expression même de l’oppression des femmes, en plus d’être la signature de l’intégrisme radical. »

Ce n’est pas moi qui le dis, même si je suis totalement d’accord. C’est Fatima Houda-Pepin, députée libérale de La Pinière, sur la Rive-Sud.

Députée musulmane d’origine marocaine.

Députée qui, après s’être tue sagement pendant des semaines, respectueuse de la politique anti-Charte de son parti, a finalement explosé. En lisant que son collègue Marc Tanguay, porte-parole des troupes de Philippe Couillard dans le dossier, était tout à fait prêt à voir une élue portant le tchador à l’Assemblée nationale, elle s’est mise au clavier et a expédié une lettre aux médias.

En gros, on pourrait résumer cela ainsi : « Ça va faire ! »

« L’égalité hommes-femmes est un droit fondamental qui demeure un acquis fragile à l’ère des intégrismes qui caractérise notre siècle, a-t-elle écrit. Il faut le protéger et le défendre, et non le mettre en péril. »

Et si l’intérêt public nécessite qu’on interdise, eh bien, qu’on interdise, poursuit la députée, qui s’est toujours soulevée contre les intégrismes, contre les dangers posés par ces religions qui, incluant la sienne, mais aussi le christianisme et l’hindouisme notamment, cherchent à cacher un ordre du jour politique anti-égalitaire derrière le paravent moral conservateur de leurs orthodoxies.

Obsession de la virginité des jeunes femmes, mariages forcés, voile, ségrégation… Les thèmes où se mêlent soumission de la femme et coutumes ou préceptes religieux sont nombreux et rejoignent nos quotidiens. Mme Houda-Pepin fait partie de celles qui affirment qu’il faut avoir le courage de leur dire non.

Dans sa lettre, la députée ne dit pas que la Charte péquiste, avec son interdiction des symboles religieux ostentatoires dans la fonction publique, incluant le hidjab, est la panacée. Loin de là. Comme beaucoup d’autres hommes et femmes, elle profite néanmoins du débat lancé par le projet de loi péquiste pour dire haut et fort que les efforts religieux visant un effritement des acquis égalitaires de la Révolution tranquille ne sont pas des chimères inventées par des intolérants ou des ministres du Parti québécois entichés de l’idée d’un gouvernement majoritaire.

***

Mme Houda-Pepin n’est pas chef de parti ni même ténor au sein des troupes de Philippe Couillard, mais son opinion est importante. Cruciale.

Elle démontre que, nonobstant ce qu’en pensent les multiculturalistes opposés mécaniquement à toute réflexion sur la réelle portée politique et sociale de certaines demandes religieuses, il n’y a pas que de l’électoralisme derrière le débat.

Certes, il y a sûrement une forte dose de politique politicienne.

Qui en doute ?

Mais il n’y a pas que ça.

Il y a aussi de réelles inquiétudes partagées par des femmes et aussi des hommes, de tous les partis. Fédéralistes et souverainistes, libéraux et péquistes confondus.

Et c’est ce que disent les Janettes, et Mme Houda-Pepin. Et aussi les femmes qui se sont réunies hier soir à Montréal pour lancer PDF Québec – Pour la défense des femmes du Québec – , un nouveau mouvement féministe.

Parmi ses figures importantes, on retrouve l’ancienne ministre Louise Beaudoin, ainsi que Flavie Payette-Renouf, la petite-fille de l’ancienne ministre Lise Payette. Mais on y note aussi la présence de plusieurs femmes d’origines diverses qu’on ne peut pas accuser de racisme ou d’islamophobie.

Ce sont des femmes qui ne se reconnaissent pas dans la Fédération des femmes du Québec, comme Leila Lesbet, d’origine algérienne, ou Leila Bensalem, enseignante d’origine algérienne, ou Radia Kichou, étudiante en droit.

La FFQ, qui tient ce week-end ses états généraux, où doivent se clore de vastes et longues consultations, et où doivent être déterminés les grands enjeux du féminisme pour les 20 prochaines années, a choisi d’être contre l’interdiction du voile dans la fonction publique depuis déjà quelques années. Affirmant défendre ainsi le droit au travail de femmes immigrantes vulnérables, elle a tranché, prenant une position sans équivoque dans un dossier qui est loin de faire l’unanimité chez les féministes.

Ce regroupement parle au nom de ses membres, mais il occupe aussi historiquement, au-delà de cela, un rôle important de porte-voix de toutes les femmes du Québec. Aurait-il dû prendre une telle position dans un débat qui partage autant la population en général, en commençant par les femmes et les féministes ?

Il y a trop de féministes musulmanes qui demandent la laïcité dans la fonction publique – incluant le retrait des symboles religieux – pour qu’on ignore ce point de vue. Avec sa position pro-voile, la FFQ a mis au monde le PDF-Québec. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’un tel regroupement naisse.

Est-ce que les femmes du Québec, toutes origines, religions, âges, professions, statuts socio-économiques confondus, ont intérêt à ce que le mouvement féministe soit divisé ? Non, bien sûr. Je suis de celles qui ont déjà dit qu’il faudrait une solution de rechange à la FFQ, car je ne m’y reconnais pas, et bien des femmes que je connais, qui me parlent, avec qui j’échange, ne s’y reconnaissent pas non plus. Il reste que ce n’est pas une situation idéale. Les femmes gagnent plus à être unies pour faire avancer une quête d’égalité qui n’est pas terminée.

Mais parfois, on n’a pas le choix. Le droit de vote a divisé les femmes, le doit d’avorter a divisé les femmes. Maintenant, le droit de porter le voile dans la fonction publique divise les femmes.

Maintenant, on sait où loge Fatima Houda-Pepin. Et on sait qu’il y a une nouvelle formation militante pour celles qui, comme elle, comme Janette Bertrand et tant d’autres, croient qu’il faut discuter de notre tolérance pour l’intolérance.

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