samedi 30 novembre 2013

« Tu ne peux pas imposer tes pratiques religieuses dans un pays où la majorité n’est pas musulmane »

DENISE BOMBARDIER

JOURNAL DE MONTRÉAL, PUBLIÉ LE: | MISE À JOUR: 


MALEK CHEBEL

Né en 1953 à Philippeville (Skikda) en Algérie.
Études à l'Université Aïn El-Bey de Constantine.
Doctorat en psychopathologie clinique et psychanalyse à l’Université Paris 7 (1980).
Doctorat d’anthropologie, d’ethnologie et de science des religions à Paris Jussieu (1982).
Doctorat de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Paris (1984).
Il dirige Noor, une nouvelle revue pour un islam des lumières.
Son ouvrage le plus récent: Changer l’islam : dictionnaire des réformateurs musulmans des origines à nos jours. (Albin Michel).


Algérien d’origine, anthropologue, historien et psychanalyste, Malek Chebel est un savant qui a consacré 10 ans de sa vie à traduire le Coran en français. Il a publié une trentaine de livres, dont le Dictionnaire amoureux de l’islam, chez Plon. Cet homme parle donc d’autorité et il nous met en garde contre l’islamisme qui est en train, selon lui, de déstabiliser nos pays. Il se définit comme un laïc et s’inquiète vivement de notre tolérance à l’endroit des fondamentalistes.


Quand on lui raconte que des femmes en burqa se promènent dans les rues de Montréal, il s’exclame: «C’est dingue! Je pense que la burqa est un cancer qui s’est imposé aux musulmans. C’est une anomalie qui n’a pas lieu d’être. Son apparition a même surpris les pays musulmans, car elle ne vient même pas d’une terre musulmane. Elle a son origine avant l’islam dans une partie de l’Afghanistan et du Pakistan actuel. C’est un vêtement ethnique qui relève d’une culture clanique et qui n’est validé par aucun théologien sérieux de l’islam. La burqa prolifère là où il n’y a pas d’interdiction. Dans les nouveaux pays comme chez vous, par exemple, où il n’y a pas de culture de l’islam.»


Quel jugement porte-t-il sur le voile? «La burqa, c’est une extrapolation de tout ce qui est négatif dans l’islam.» Il explique qu’il y a deux types de voiles. Celui que porte la femme quand elle va dans un lieu de culte, qu’elle porte par respect et pudeur, parce qu’elle est croyante et pratiquante. L’important, c’est qu’elle ne le porte pas avec ostentation. Car, affirme-t-il, dès qu’il y a exagération, que la femme s’affiche partout, c’est suspect. Puis, il y a le voile qui est une pure manipulation à ses yeux. C’est idéologique. Comme en Iran depuis Khomeini en 1979. «C’est une arme politique qui crée une coupure entre les bons et les mauvais croyants et fait de celles qui ne le portent pas des mécréantes. Même si ces femmes sont croyantes, pratiquantes et plus instruites, celles qui portent le voile vont les considérer comme inférieures. C’est le monde à l’envers!»


Que pense-t-il des femmes voilées qui affirment le porter par choix et qui se décrivent même comme féministes? «Il y a le féminisme d’un côté et l’islam de l’autre. On ne peut pas revendiquer le féminisme et croire à une vision du monde qui met les femmes de côté.» Malek Chebel insiste sur le fait que le voile sépare les femmes entre elles. «Et celles qui prétendent le porter par choix vivent dans un cadre moral rigide qui ne fait pas place à la liberté puisqu’il est idéologique. C’est le discours qu’elles entendent à la télévision, c’est le prêche à la mosquée, c’est l’opinion du mari, des frères, des voisins. Ces femmes sont donc aliénées. Ce n’est pas, dit-il, un choix instruit, informé. Si les femmes étaient vraiment libres, elles porteraient le voile dans les activités religieuses et l’enlèveraient dans l’espace public par respect pour la communauté dans laquelle elles vivent. C’est très compliqué. Je comprends que les Québécois et les Canadiens soient confondus.»


La charte : un début


Lorsqu’on lui explique l’enjeu actuel de la charte de la laïcité au Québec, il répond spontanément: «C’est un bon début!» Lorsqu’on lui décrit la division des Québécois entre eux sur le sujet, il répond: «Si j’avais un conseil à donner à votre gouvernement, c’est de poursuivre la réflexion, de continuer à informer la population et de prendre exemple sur les pays européens qui sont confrontés aujourd’hui aux conséquences de leur tolérance passée. Comme la Suisse, l’Angleterre, la Belgique, la France. Je sais par ailleurs qu’en Amérique du Nord, on se réclame aussi de la liberté individuelle comme d’un absolu. Et on n’a pas, comme en Europe, connu les Croisades, ces guerres de religion, et le frottement avec le fondamentalisme religieux y est plus présent. Les Européens sont donc plus alertés et informés de cette réalité. Chez vous, vous ne devez pas accepter la liberticide pratiquée par les islamistes. Si vous acceptez la burqa et le voile dans la fonction publique, d’autres pratiques vont s’imposer comme les prescriptions halal et les minarets. Tout ce qui pose problème en Europe, vous allez en hériter. Et je crains que, pour vous, la pilule soit encore plus forte que pour nous. Car en France, il y a une union sacrée de la gauche et de la droite pour empêcher ces pratiques.»


Malek Chebel n’ignore rien de la permissivité canadienne. «Chez vous, toutes les idées vous traversent. La plupart s’en vont, mais l’islamisme va rester, car les islamistes sont très actifs et ils ont compris, hélas pour vous, que le Canada est le paradis terrestre pour eux. Ils rêvent certainement de créer des espaces uniquement fondamentalistes.»


Malek Chebel assure que les musulmans modernes doivent témoigner dans nos médias pour montrer le véritable islam. «Car les fondamentalistes détruisent l’islam – c’est pourquoi il faut les isoler. Mais il faut aller aussi vite qu’eux. Personnellement, je suis attaqué de toutes parts. Ils me traitent d’obsédé sexuel, de pervers, mais, là-dessus, ils ont raison. Le sexe, c’est mon affaire (il éclate de rire). Mais comme ils savent que j’ai traduit le Coran, je suis devenu le pape au sein de l’islam. N’oubliez pas que la plupart des imams sont autoproclamés. Ce sont des ignorants qui ne connaissent rien du Coran. Ils ne sont pas théologiens, mais plutôt idéologues. Ils prennent à la lettre les versets du Coran. Impossible d’échanger intellectuellement avec eux.»


La femme plus forte


Malek Chebel, en tant que psychanalyste, aborde avec liberté et courage la sexualité des «fous de Dieu» et l’image qu’ils se font de la femme. D’ailleurs, il a publié plusieurs ouvrages qui traitent de la notion du corps en islam, de la sexualité, de l’érotisme et de la séduction dans le monde arabo-musulman. Il a même publié un ouvrage, Le Kama-Sutra arabe, afin de sortir de la clandestinité les grands textes de l’érotisme arabe. Il donne d’ailleurs des conférences sur ces thèmes un peu partout dans le monde et dans les pays arabes en particulier. «La vision apocalyptique qu’a l’intégriste de la femme est une vision du Moyen Âge. La femme n’a aucune importance pour le fondamentaliste; elle n’est même pas un sujet, mais plutôt un objet de jouissance. Il ne tient pas du tout compte de son plaisir à elle. C’est peu dire que ces intégristes ne savent pas faire l’amour aux femmes. La femme est trop compliquée pour eux. Elle fait peur. À mon avis, elle est beaucoup trop puissante pour ces hommes sur le plan sexuel et intellectuel. Elle est aussi plus créative et plus inventive qu’eux. Elle est trop forte par rapport aux mecs qui ont le réflexe de se protéger. Globalement, ils sont misogynes et leur culture renforce leur misogynie. La sexualité reste donc cachée, tabou. Il y a omerta. Et le corps de la femme appartenant à l’homme, tous les abus sont permis.» Les islamistes qui vivent en Occident, assure Malek Chebel, sont dans une bulle. Ils ne se laissent pas atteindre par la société laïque. La liberté sexuelle des femmes en particulier les terrifie.»


Malek Chebel estime que les femmes musulmanes qui vivent dans nos pays ne peuvent pas rompre avec leur culture sans se victimiser. On pense évidemment à la jeune Safia chez nous qui défiait son père en s’habillant à la mode et en fréquentant un garçon. «Les filles ne doivent pas poser de gestes contre-productifs qui les exposent. Elles doivent s’appuyer sur la loi, sur le droit du pays.» Or, au Québec, l’on sait désormais que les professionnels de la DPJ, entre autres, manquent de connaissances et pourraient recourir avantageusement à des intellectuels comme Malek Chebel pour les éclairer sur cette culture médiévale dans laquelle baignent les fondamentalistes religieux.


La mauvaise religion


«Mon combat à moi, affirme le penseur, c’est un combat pour la raison, pour un islam de la modernité. Je ne suis pas contre la religion, mais je dénonce la mauvaise religion. Dans l’islam, il existe un critère de compatibilité avec l’endroit où l’on vit. Tu ne peux pas imposer tes pratiques religieuses dans un pays où la majorité n’est pas musulmane. Le Coran dit qu’il faut trouver le juste milieu. Dans votre cas, la majorité doit définir sa propre identité, ses propres valeurs communes. Si les Canadiens et les Québécois disent: notre culture permet à tout un chacun venant dans notre pays d’imposer ses pratiques, sa burqa, son voile, son harem, le Canada et le Québec vont être sur les braises.»


Malek Chebel persiste et signe malgré les menaces et les injures. C’est un intellectuel qui croit qu’on ne peut pas détruire les idées qui portent la liberté et qui affirment l’égalité entre les hommes et les femmes. C’est un éclaireur qui met son intelligence, sa très vaste culture et son expérience personnelle au service de ce qu’il qualifie de lutte pour la civilisation d’aujourd’hui, qui, selon lui, est menacée à travers la planète par l’islamisme. «Aucun pays n’est à l’abri contrairement à ce que pensent dans votre pays des gens qui n’ont jamais été confrontés à ce qui vous menace désormais.»
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