dimanche 8 décembre 2013

Une entrevue avec le Ministre Bernard Drainville - The Canadian Jewish News

                           
Bernard Drainville, Ministre responsable des Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne dans le Gouvernement du Parti Québécois dirigé par Pauline Marois, est résolument convaincu que la très controversée Charte des valeurs québécoises, dont il est le principal concepteur et promoteur, permettra aux Québécois de “bâtir une société plus tolérante, plus accueillante, plus égalitaire et plus harmonieuse”.

C’est ce que nous a dit Bernard Drainville au cours de l’entrevue qu’il a accordée au Canadian Jewish News.

“La neutralité en matière de religion de l’État québécois est une condition pour mieux assurer et protéger la liberté de religion et la liberté de conscience des Québécois. La neutralité religieuse, c’est un choix de société que nous proposons à tous les Québécois.”

Canadian Jewish News: La grande majorité des Québécois issus des Communautés culturelles, parmi eux la Députée dissidente du Bloc Québécois, Maria Mourani, ont associé sans ambages le Projet de Charte des valeurs proposé par le Gouvernement du Parti Québécois à l’expression hideuse d’un nationalisme ethnique et exclusionniste. Comment réagissez-vous face à cette critique très sévère?

Bernard Drainville: Cette critique est injuste et non fondée. Le nationalisme québécois que nous épousons au Parti Québécois est un nationalisme rassembleur, fondé sur un principe fondamental: tous ceux et celles qui vivent au Québec sont des Québécois, peu importe leur origine, leur religion, la couleur de leur peau… Nous sommes tous Québécois. Le nationalisme défendu vigoureusement par le Parti Québécois est très inclusif et ouvert à la différence. Ce nationalisme, qui est fondé sur l’égalité de tous les citoyens et citoyennes du Québec, indépendamment de leurs origines culturelles, est tout le contraire du nationalisme que vous évoquez. La Charte des valeurs que nous proposons à tous les Québécois s’inscrit dans le prolongement de ce nationalisme inclusif, auquel le Parti Québécois a adhéré depuis très longtemps.

C.J.N.: Les critiques au sujet de votre Projet de Charte des valeurs émanant du Canada anglais sont aussi très virulentes.

B. Drainville: Je tiens à rappeler à nos amis du Canada anglais un fait historique majeur, qu’ils ont malheureusement oublié complètement: en 1832, c’est le Parlement du Bas-Canada, Présidé alors par Louis-Joseph Papineau, qui fut le premier de tous les Parlements de l’Empire britannique à reconnaître pour la première fois les droits civiques de la Communauté juive. C’est le Parlement du Bas-Canada, constitué majoritairement de Députés Canadiens-Français -c’est ainsi qu’on les appelait à cette époque-, qui a permis à Ezekiel Hart, Député d’origine juive de Trois-Rivières, de siéger dans cette Assemblée législative. Malheureusement, nous sommes obligés de rappeler de temps en temps au Canada anglais ce fait historique très marquant de notre Histoire commune.

La Communauté juive fait partie intégrante du Québec depuis très longtemps. Les Juifs sont établis au Québec depuis la fin des années 1700. Les Juifs Québécois font partie d’une Communauté qui a beaucoup apporté à l’Histoire, au développement et à l’évolution de la société québécoise. Leur contribution à l’essor du Québec est absolument remarquable. Je tiens à dire à nos concitoyens d’origine juive que nous tenons à eux, qu’ils sont une partie extrêmement importante de ce qu’est la société québécoise d’aujourd’hui. Nous tenons à ce que les Juifs continuent à contribuer, comme ils l’ont si bien fait dans le passé, à l’évolution et au développement de la société québécoise. J’ai énormément de respect et d’estime pour la Communauté juive québécoise. Je veux la rassurer. Cette Communauté exemplaire et admirable a encore beaucoup à apporter au Québec d’aujourd’hui et de demain. On va construire le Québec ensemble.

C.J.N.: Votre Projet de Charte des valeurs prône une laïcisation totale de la Fonction publique québécoise, c’est-à-dire l’interdiction pour tous les employés du secteur public et parapublic de porter des “signes religieux facilement visibles et ayant un caractère démonstratif”. Par contre, les signes religieux portés discrètement seront tolérés. N’y a-t-il pas là une contradiction effarante avec le principal objectif de la Charte des valeurs que vous proposez aux Québécois?

B. Drainville: Le Gouvernement du Parti Québécois pense qu’un signe porté discrètement, qui n’envoie pas un message religieux, est acceptable. Ce qui est problématique à nos yeux, c’est un signe qui envoie, à celui ou à celle qui le voit, un message religieux. Un citoyen qui s’adresse à l’État, c’est-à-dire à un fonctionnaire, à un enseignant, à une éducatrice, à un médecin… ne s’adresse pas à un croyant, il s’adresse à un serviteur de l’État. Nous pensons donc qu’une des responsabilités qui incombent à celui ou celle qui travaille pour l’État, c’est d’être neutre. Les fonctionnaires font déjà preuve de neutralité politique. Nous pensons que la neutralité religieuse doit suivre aussi la même logique, c’est-à-dire se traduire également par une absence de signes religieux ostentatoires.

C.J.N.: Lors de l’élaboration de votre Projet de Charte des valeurs avez-vous pris en considération un élément identitaire irrécusable: à savoir que les signes religieux arborés par les Juifs, les Musulmans et les Chrétiens observants -la kippa, le hijab, la croix-, dont ils ne se départissent jamais, font partie intégrante de l’identité de ces derniers? Vous allez donc contraindre les employés de l’État québécois portant un signe religieux à faire un choix très douloureux: renier pendant leurs heures de travail un principe identitaire cardinal auquel ils sont viscéralement attachés ou quitter leur emploi. Cette mesure coercitive n’est-elle pas discriminatoire à l’endroit des minorités religieuses du Québec?

B. Drainville: Pas du tout. Nous croyons que notre proposition de Charte des valeurs est bien mesurée et raisonnable, dans le sens où l’application de celle-ci se limitera uniquement aux heures de travail. L’État n’a pas à encadrer où à s’immiscer de quelque façon que ce soit dans les convictions religieuses ou morales des citoyens lorsque ces derniers sont en dehors de l’État. C’est cette conviction qui nous a amenés à baliser très clairement seulement dans le champ étatique le cadre de la neutralité religieuse que nous proposons. Par exemple, il n’a jamais été question d’encadrer de quelque façon que ce soit le port de signes religieux dans l’espace public. Les Français l’ont fait avec le voile intégral. Le Gouvernement du Québec ne le fera pas. Il n’a jamais été question non plus d’encadrer le port de signes religieux par des citoyens. En France, on a interdit le port de signes religieux ostentatoires dans les salles de classe. Le Québec a décidé de prendre une autre direction. Que les choses soient claires: l’interdiction des signes religieux ostentatoires se limitera seulement à l’État et aux employés de l’État. La prémisse étant que si l’État est neutre, les hommes et les femmes qui le représentent doivent l’être aussi.

C.J.N.: Sur quoi vous basez-vous pour affirmer que cette mesure très contestée sera viable?

B. Drainville: Il y a déjà des cas documentés de personnes qui retirent leurs signes religieux lorsqu’elles sont en présence d’enfants. C’est le cas de plusieurs éducatrices Musulmanes portant le voile qui travaillent dans une École publique, une Maternelle ou un Service de garde. Ce constat nous fait croire qu’il est possible pour quelqu’un qui porte un signe religieux ostentatoire, un voile par exemple, d’accepter de le retirer pendant quelques heures durant la journée afin de respecter son devoir de neutralité et aussi afin de respecter les enfants et les parents qu’il dessert dans le cadre de ses fonctions professionnelles. Ceux et celles qui portent un signe religieux ostentatoire et qui travaillent pour l’État doivent également penser aux clientèles qu’ils desservent. Ces clientèles doivent être aussi prises en compte dans l’équation.

C.J.N.: Si votre Projet de Charte des valeurs est adopté par l’Assemblée Nationale du Québec et mis en oeuvre, une Institution phare de la Communauté juive et du Réseau de la Santé du Québec, l’Hôpital Général Juif de Montréal, sera affectée en premier lieu. Nombreux sont ceux qui estiment que cette Charte des valeurs menace sérieusement la spécificité socio-identitaire juive de cette réputée Institution de Santé québécoise presque centenaire. Quel est votre point de vue sur cette épineuse question?

B. Drainville: Je tiens à dire que pour le Gouvernement du Parti Québécois, l’Hôpital Général Juif de Montréal est un joyau de la Communauté montréalaise et de la société québécoise. L’Hôpital Général Juif est une Institution qui a une très grande crédibilité et qui représente une grande richesse pour le Réseau de la Santé et des Services sociaux québécois. Nous sommes très conscients des circonstances socio-historiques qui ont mené à la création de l’Hôpital Général Juif de Montréal dans les années 30: les médecins d’origine juive n’avaient pas le droit d’exercer leur profession dans les autres Hôpitaux du Québec. Il y avait également des membres de la Communauté juive qui avaient de la difficulté à se faire soigner dans certaines Institutions hospitalières québécoises. Nous souhaitons que l’Hôpital Général Juif de Montréal conserve son identité et sa personnalité. Il n’est absolument pas question de remettre en cause l’identité de cette importante Institution de Santé. D’ailleurs, nous avons pris note de la volonté de l’Hôpital Général Juif d’exercer son droit de retrait, renouvelable, prévu dans notre Projet de Charte des valeurs. La proposition gouvernementale qui est présentement sur la table permettrait donc aux employés et au personnel de l’Hôpital Général Juif de Montréal de continuer à porter des signes religieux dans le cadre de leur travail.

C.J.N.: Pourtant, vous-même avez déclaré dernièrement que vous espérez que les Institutions publiques, dont l’Hôpital Général Juif de Montréal, qui recouriront à la clause dérogatoire ne le fassent pas ad vitam aeternam et qu’elles s’intègrent le plus rapidement possible dans le cadre établi par la Charte des valeurs que le Gouvernement du Parti Québécois propose. Votre position sur cette question n’est-elle pas contradictoire?

B. Drainville: Je comprends la question que vous me posez. Tout ce que je peux vous répondre à ce stade-ci, c’est que nous sommes très conscients du caractère particulier, spécifique, de l’Hôpital Général Juif de Montréal. Notre intention n’est pas de remettre en question de quelque façon que ce soit l’identité de cette Institution de Santé renommée, qui a une très grande valeur à nos yeux.

C.J.N.: Une très forte majorité de Québécois est favorable à l’adoption de balises pour mieux gérer les demandes d’accommodements religieux. Par contre, votre proposition de bannir totalement les signes religieux ostensibles dans les Institutions publiques divise beaucoup les Québécois? Seriez-vous prêt à supprimer cette mesure controversée inscrite dans votre Projet de Charte des valeurs?

B. Drainville: La démarche que nous proposons aux Québécois est très démocratique. Le Gouvernement québécois est en train de consulter les citoyens sur cette question capitale. Le Site Internet explicitant les grandes lignes du Projet de Charte des valeurs a déjà été consulté par 140000 Québécois et Québécoises. Nous avons déjà recueilli plus de 15000 commentaires. C’est énorme. Dès l’annonce officielle de ce Projet, nous avons dit que nous étions ouverts à l’amélioration de celui-ci, c’est-à dire à sa bonification. Je ne peux pas aller dans le détail tout de suite. Ce serait très prématuré d’évoquer des scénarios spécifiques. Pour le moment, nous sommes au stade de recueillir les commentaires des citoyens. Les idées et les options proposées par les citoyens du Québec nourriront notre réflexion lors de la phase de préparation du Projet de Loi qui encadrera cette Charte des valeurs québécoises. Mais, avant de procéder à la rédaction finale de ce Projet de Loi, nous devons évaluer l’ensemble des idées et des propositions qui nous ont été soumises par les citoyens. Si on est capable d’améliorer ce Projet de Loi, de le bonifier, c’est évident que nous le ferons. L’objectif c’est de déposer ce Projet de Loi cet automne. Il y aura ensuite de longues consultations. Je tiens à dire à quel point je souhaite que la Communauté juive participe très activement, comme elle l’a toujours fait dans le passé, au processus de consultations sur la Charte des valeurs québécoises.

- Source: The Canadian Jewish News
http://www.jgh.ca/en/newsroom/?id=881&year=2013

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