samedi 18 janvier 2014

Qui veut la peau de Bernard Drainville?


C’est une manière de faire parler de soi: insulter un ministre, exiger sa démission. Mieux encore : désigner d’avance son remplaçant! C’est ce que vient de faire Québec inclusif, en invitant Pauline Marois à le congédier pour le remplacer par Bertrand St-Arnaud, apparemment plus conciliant envers ses propres vues. La chose est si grotesque qu’elle porte à rire, d’autant que la demande vient du président de l’organisme, désespérément en quête de visibilité et de respectabilité, mais qui trop souvent, confond l’argumentation et l’injure.

La raison officiellement donnée pour exiger ce congédiement? Bernard Drainville ne s’inclinerait pas spontanément devant certains organismes qui disent incarner l’expertise juridique. C’est mal comprendre sa position. S’il ne les méprise pas, il considère leur avis comme une contribution parmi d’autres dans un débat politique majeur, qui ne saurait se laisser enfermer dans une querelle de spécialistes, chacun se croyant appelé à fixer les paramètres du débat public en distinguant les limites de ce qui peut se dire et de ce qui ne devrait jamais être entendu.

Depuis le début du débat sur la Charte, Bernard Drainville s’en tient à un principe fort : il s’agit d’un débat politique et non d’un débat juridique. Il faut éviter qu’il ne soit confisqué par quelques «experts» qui prétendent exercer un monopole sur les questions liées à la «diversité» ou qui veulent judiciariser à outrance toutes les grandes questions de société. Et à travers le projet de loi 60, il entreprend la mise en place d’un nouveau modèle d’intégration, en faisant de la laïcité une pièce majeure de la culture de convergence québécoise, dont il faut restaurer le statut historique.

De ce point de vue, lorsqu’on parle à Drainville du «test des tribunaux» que ne passerait pas son projet de loi, il serait en droit de répondre qu’il s’agit justement de changer le cadre juridique de notre société. Les Chartes de droits ne sont pas des textes sacrés, et ils ne représentent pas la seule manière possible de défendre les libertés publiques et privées. La délibération publique, en démocratie, permet justement de fixer de nouvelles orientations collectives, d’opérer de nouveaux choix de société.

Ceux qui crient au scandale devant cela nous disent-ils qu’ils sont les gardiens du droit naturel et qu’ils disposent d’une légitimité supérieure aux élus? Seuls les juristes et les juges, finalement, peuvent distinguer entre ce qui se fait et ne se fait pas? On se moque de ceux qui dénoncent l’avènement d’un gouvernement des juges, mais pourtant, c’est bien vers une telle forme de régime que nous nous dirigeons. L’espace du politique régresse, le pouvoir juridique devient hégémonique et on nous demande d’y voir un progrès. Étrange.

J’ai souvent dit que le jour où les souverainistes mettraient de l’avant un programme d’affirmation identitaire, ils subiraient les attaques radicales du système idéologique dominant. Les deux ailes du parti multiculturaliste se déchaineraient contre lui : la gauche multiculturaliste et la droite néolibérale. Et les médias mettraient en scène la moindre dissidence chez les souverainistes pour laisser croire à une société absolument fracturée. Nous y sommes. Dans les circonstances, on souhaitera simplement au gouvernement de ne pas se coucher. Il faut traverser ce barrage pour engager une authentique politique d’affirmation québécoise.

Depuis le début du débat sur la Charte, Bernard Drainville a bien joué ses cartes. Si l’homme ne s’épargne pas quelquefois certaines facilités rhétoriques et politiciennes, comme on l’a vu récemment avec son étrange déclaration qui confondait l’hostilité à la Charte et la complaisance envers l’intégrisme, fondamentalement, il mène ce débat en ne se laissant pas enfermer dans les pièges de ses adversaires. L’accusation de «populisme» qu’on lui jette à la tête sert moins à le qualifier qu’à le disqualifier. L’objectif : le noyer sous une pluie d’injures et de quolibets, et le transformer en infréquentable absolu.

C’est qu’à la différence de plusieurs, il ne technicise pas la politique à outrance. Il a compris qu’il y avait au Québec une aspiration fondamentale à la réaffirmation identitaire et que celle-ci était fondamentalement légitime. En s’y ouvrant, il ne libère pas la parole intolérante, pour reprendre la formule convenue, même s’il y a dans notre société comme dans les autres des zozos et que certains défileront à la commission. Il réactive plutôt la question la plus vitale qui soit : celle des fondements de notre existence comme peuple. Comment nous définirons-nous comme collectivité?

Ce que ses détracteurs reprochent à Bernard Drainville, c’est son efficacité politique. Ce qu’ils ne tolèrent pas, c’est qu’il tienne tête aux idéologues multiculturalistes, aux professeurs de rectitude politique et autres spécialistes du politiquement correct. C’est pour cela qu’ils veulent le dégommer et en finir avec lui. Sans l’avoir pensé ainsi, n’est-ce pas le plus beau compliment qu’ils viennent de lui adresser? Dégage, Bernard! Oui, dégage, tu es en train de réussir! Maudire son adversaire, n’est-ce pas s’incliner devant sa victoire prochaine?

http://blogues.journaldemontreal.com/bock-cote/politique/qui-veut-la-peau-bernard-drainville/

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