mercredi 19 février 2014

Dounia Bouzar : « Les radicaux musulmans profitent de l’ignorance sur l’islam en Occident »

Dans son dernier livre « Désamorcer l’islam radical » (1), l’anthropologue Dounia Bouzar, ancienne éducatrice à la Protection judiciaire de la jeunesse et membre de l’Observatoire de la laïcité, tente d’expliquer le phénomène du radicalisme des jeunes musulmans.
DOUNIA BOUZAR, ANTHROPOLOGUE, PARIS, LE 26 NOVEMBRE 2013.
D. GOUPY/SIGNATURES/EDITIONS DE L’ATELIER

DOUNIA BOUZAR, ANTHROPOLOGUE, PARIS, LE 26 NOVEMBRE 2013.

Quelle est l’ampleur de ce radicalisme musulman que vous analysez dans votre dernier ouvrage ?
Dounia Bouzar : Il ne concerne que la minorité de la minorité. Mais alors qu’il y a une dizaine d’années, j’avais montré qu’il s’agissait principalement de jeunes « sans père ni repère », le phénomène touche désormais une frange de la population élargie. Il concerne toujours des jeunes, souvent fragilisés et qui ont en commun de ne se sentir d’aucun territoire. Le discours radical leur propose une identité de substitution en retournant cette absence en signe de leur « élection » à posséder la vérité, à être « supérieurs » aux musulmans, aux chrétiens, aux juifs, etc.
Comment repère-t-on un jeune qui bascule ?
D. B. : Un discours religieux est radical quand il mène l’individu à l’auto-exclusion. Toute la difficulté pour moi a été de comprendre pourquoi ce discours touche tous type de familles, qu’elles soient « bretonnes de souche », habitant le 16e arrondissement, etc. Comment des filles peuvent, en l’espace de trois mois, se mettre à porter le niqab reste pour moi un mystère. Je constate seulement que le basculement intervient souvent dans des familles très claniques après l’explosion d’un élément du cocon, qu’il s’agisse d’un divorce, du chômage, ou d’un décès. Chez les garçons, le phénomène déclencheur est généralement l’envie de passer de « je n’ai pas de place » à « j’ai toute la place, même celle de Dieu ».
Pourquoi parler de dérive sectaire alors qu’il n’y a pas de gourou ?
D. B. : Pas de gourou physique, puisque le discours de l’islam radical fait autorité surtout par l’intermédiaire d’Internet. Mais tous les ingrédients sont là : on fait croire aux jeunes qu’ils sont élus, que « les autres » vont tenter de les raisonner « parce qu’ils sont jaloux »… Progressivement, ils perdent leurs contours identitaires – certains brûlent leurs photos –, leurs capacités de raisonnement sont remplacées par du mimétisme. Pour se reconnaître entre eux et se distinguer « des autres », ils construisent des frontières symboliques infranchissables : le niqab en est l’illustration, les hommes se laissent pousser la barbe jusqu’au nombril, remontent leurs chaussettes sur leurs pantalons…
Quel est le lien avec l’islam ?
D. B. : Ils se revendiquent bien sûr de l’islam et les prédicateurs – notamment saoudiens – qui ont construit ce discours de purification affirment revenir à la tradition du prophète. En réalité, ces prédicateurs coupent leurs adeptes de la culture arabo-musulmane en leur promettant du « pur religieux ».
La sécularisation, l’ignorance des religions, couplées à la globalisation permettent l’émergence de ces « nouveaux mouvements religieux » que l’on observe au sein de l’islam, mais aussi du protestantisme. Indéniablement, ces radicaux profitent de l’ignorance occidentale : au Maroc, en Algérie, et même dans les familles pratiquantes en France, ils trouveront un parent, ou un oncle pour leur dire qu’ils dérapent. Mais en Europe, on accepte des comportements de musulmans qu’on n’accepterait pas d’un autre.
Que faut-il faire ?
D. B. : La société en général doit cesser de fermer les yeux. Beaucoup d’élus ou de responsables de terrain craignent de passer pour « islamophobes » ou de faire monter le Front national en s’attaquant au problème : mais ce qui est « islamophobe », c’est d’entretenir la confusion entre musulmans et radicaux. Et c’est l’inaction qui favorise la montée de l’extrême droite.
La première des solutions est d’appliquer la même loi à tous les citoyens. Je ne pense pas que cela soit le cas aujourd’hui : la France réprime exagérément certains musulmans pratiquants – les mères voilées désireuses d’accompagner les sorties scolaires, par exemple –, et à l’inverse fait preuve de laxisme à l’égard des radicaux.
La responsabilité n’est-elle pas aussi celle des musulmans eux-mêmes, qui, seuls, peuvent faire cette distinction entre islam et radicalisme…
D. B. : De fait, il faut aussi que les musulmans eux-mêmes acceptent de désigner ces dernières pour que l’État puisse leur appliquer les lois sur l’emprise mentale. Ce livre, le premier que j’écris à la première personne, a cette ambition, et il s’appuie aussi sur le travail de l’imam de Bordeaux, Tareq Oubrou, pour « penser l’islam » de l’intérieur. Nous devons priver les radicaux de leur justification religieuse en les considérant pour ce qu’ils sont : des endoctrinés ayant besoin d’aide psychosociale pour les uns, des meurtriers sanguinaires pour les autres.

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