mardi 4 février 2014

Un peuple fragile, mais résistant*


 - 3 FÉVRIER 2014
* Je reproduis ici ma chronique parue dimanche  le 2 février dans le Journal.

«Vous avez peur!» Souvent, c’est ce qu’on reproche aux partisans de la charte des valeurs. C’est d’ailleurs ce que répétait cette semaine Philippe Couillard. Pour lui, la charte des valeurs semble révéler une vision paranoïaque de l’identité québécoise, comme si on lui imaginait des ennemis partout.

C’est une étrange manière de poser le problème. Car pour peu qu’on fasse l’histoire du peuple québécois, on retrouve, à chaque moment important, une inquiétude fondamentale: celle de disparaître. Depuis 250 ans en fait, le peuple québécois a porté en lui cette angoisse fondamentale.

Et cela correspondait à la réalité. Le petit peuple conquis de 1760 a vite compris une chose: en Amérique du Nord, son existence n’irait jamais de soi. D’abord, il parle une langue qui y est minoritaire. La tentation est forte pour certains de s’assimiler, persuadés qu’ils amélioreront leur sort. Longtemps, il a aussi pratiqué une religion minoritaire. Un objectif: survivre!

Malheureusement, cette conscience tragique a souvent viré à l’apitoiement sur soi. Parce qu’un peuple vaincu porte socialement et économiquement les stigmates de son asservissement. On disait les Québécois «nés pour un petit pain», on les caricaturait en porteurs d’eau. Pire que tout: plusieurs y croyaient.

C’est de cela dont nous avons voulu sortir avec la Révolution tranquille. Plus jamais le Québec ne baisserait le regard. Il serait fier et maître de sa destinée. Certains voulurent compenser la résignation de jadis par la folie des grandeurs: le Québec partirait à la conquête du monde et servirait de modèle à l’humanité.

Très bien. Il fallait voir grand. Mais nous avons un peu perdu le sens des réalités: notre fragilité collective n’est pas imaginaire. Nous serons toujours minoritaires et condamnés à la vigilance. Et comment vraiment «conquérir la planète» sans être d’abord maître chez soi? Le Québec n’est pas qu’un fait: c’est un projet.

Cela ne veut pas dire que nous sommes un petit bibelot qu’il faudrait mettre à l’abri du monde. Ou qu’il nous faudrait toujours nous flatter dans le sens du poil. Mais cela veut dire que le Québec a besoin de faire de la conservation de son identité un projet de grande envergure. L’inquiétude identitaire, au Québec, est une inquiétude légitime.

Évidemment, le contexte a changé. Le Canada anglais de jadis, qui persécutait les francophones, a fait place au Canada multiculturaliste. Mais le Québec n’y trouve pas plus sa place: on le traite comme une grosse minorité ethnique xénophobe. Ensuite, la mondialisation dévalorise les peuples en plus de favoriser une immigration plus nombreuse qu’on ne peut l’intégrer.

Il est nécessaire pour un peuple de défendre sa culture. Ce n’est pas du repli: c’est une fidélité à l’essentiel. La charte des valeurs contribue à la consolidation de notre identité et permettra aux immigrants de mieux s’y intégrer. Nous sommes fragiles, mais nous avons décidé de nous entêter dans l’existence. N’est-il pas là, le secret de l’identité québécoise?

http://blogues.journaldemontreal.com/bock-cote/politique/un-peuple-fragile-mais-resistant/

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