Avant de condamner la Charte québécoise des valeurs, en la jugeant comme étant un signe d’intolérance et de xénophobie, il serait peut-être sage qu’on s’accorde un temps de réflexion et qu’on se pose la question : quel motif a guidé le gouvernement du Québec dans cette voie ? Se pourrait-il que ce soit le concept de la laïcité, si particulier à la Belle Province ? Cette laïcité ne fait pas un très bon ménage avec le multiculturalisme, qui n’a jamais été bien accueilli au Québec, et, pour les tenants de la Charte, est à la base du manque d’intégration de la part des immigrants. Étant donné le contexte québécois, la Charte ne pourrait-elle pas être motivée par la prudence plutôt que par la bigoterie, comme ses critiques le clament ?
Il est raisonnable de s’inquiéter devant certains accoutrements religieux, en particulier d’un voile qui couvre le visage de certaines femmes musulmanes. Le port de ce genre d’article vestimentaire traduit une hostilité envers la culture du pays d’accueil. Le voile transgresse la coutume d’évoluer à visage découvert et rompt avec le respect et la politesse dans une société ouverte. Qui plus est, il symbolise la subordination de la femme, cette notion qui relève de sociétés archaïques.
Le Canada est une démocratie fédérale où les provinces ont le pouvoir de promulguer des lois, jugées parfois impopulaires et même offensantes, dans le reste du pays, à condition que ces lois restent conformes à la Constitution. Quant au Québec, c’est une province qui a été reconnue, par le gouvernement fédéral, comme une société distincte. Cette reconnaissance pourrait justifier la proposition de lois qui ne s’accordent pas avec celles du reste du Canada, particulièrement quand elles émanent d’une tradition ou d’une institution propre à la culture québécoise.
L’une de ces particularités réside dans la distinction entre le « sécularisme », tel qu’il est compris dans les cultures anglophones et protestantes, et la laïcité, la conception d’une société ouverte qui est l’héritière de l’anticléricalisme français. Alors que le « sécularisme » considère toute abrogation de la liberté religieuse comme une violation de la neutralité de l’État vis-à-vis de la religion, le modèle francophone juge que l’État se doit de superviser l’espace public pour assurer que la trajectoire d’une société libérale et laïque soit respectée.
L’aspect le plus important, cependant, concerne la justification principale du gouvernement pour son projet : les défauts du multiculturalisme, qui est un véritable dogme politique du Canada. Dans un entretien en anglais, sur les ondes de Radio Canada, le 30 août dernier, l’ancien premier ministre, Bernard Landry, a défendu l’idée de la Charte pour la même raison, en disant que l’expérience multiculturelle en Europe et au Canada a échoué. Il a ajouté que la proposition du gouvernement actuel représente un rejet justifié du multiculturalisme.
Alors que les effets néfastes du multiculturalisme sont moins évidents au Canada qu’en Europe, et cela en raison d’un système plus rigoureux, régissant la sélection des immigrants dans notre pays, les Québécois sont tout à fait capables de voir ce qui se passe au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et au Danemark. Même la France, la société européenne à laquelle le Québec est le plus lié, connaît des problèmes sérieux, en particulier à cause de la formation d’enclaves ethniques à Paris et la prolifération du djihadisme en provenance de ses anciennes colonies africaines.
Les Québécois ont une idée très précise du genre de société dans laquelle ils veulent vivre. La perte de l’autonomie culturelle et politique aux mains « d’étrangers » est encore fort présente dans leur mémoire. Les bien-pensants libéraux peuvent accuser les tenants de la Charte de bigoterie mais ils ignorent que les Québécois s’efforcent de protéger, tout simplement et sincèrement, le type de société qui leur est chère.
Toutefois, il se pourrait que la façon dont le gouvernement québécois a lancé le projet de la Charte ne soit pas parfait. En fait, je dirais que l’interdiction de tout vêtement religieux est un peu vaste. Elle peut donner l’impression aux croyants qu’ils ne sont pas bienvenus chez nous. Certaines communautés juives, chrétiennes, sikhs ou hindoues manifestent parfois des particularités vestimentaires, sans que celles-ci aient trait au multiculturalisme. Par contre, le niqab pose un problème et l’interdiction du gouvernement devrait le cibler.
Par ailleurs, la Charte ne résoudra pas le problème que représente le multiculturalisme. Les vêtements ou signes religieux ostentatoires ne sont que la pointe d’un iceberg. Le « multiculturalisme banal » qui promeut toutes idées et toutes actions qui accentuent les apparences de diversité – même si ces actions et idées sont profondément anti-libérales et ouvertement contradictoires aux coutumes locales – requiert un changement de pensée, pas un changement vestimentaire.
Cela étant dit, reconnaissons tout de même que le gouvernement québécois fait un effort dans ce domaine, même si son projet occasionne de « dommages collatéraux ». S’il y a lieu de procéder avec circonspection et prudence, rejeter la Charte purement et simplement ne se justifie pas. Au lieu d’accuser le gouvernement québécois de xénophobie, les Canadiens devraient débattre de la Charte avec un esprit ouvert et essayer de proposer des améliorations constructives.
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